Serge Bourdon
Directeur des Ressources Humaines
STX France
Pour quelles raisons êtes-vous DRH ?
Je mentirais si je vous disais qu’il s’agit d’une vocation. A moins d’avoir des parents ou des parents d’amis travaillant dans cette fonction, pas facile de se faire une idée de ce métier. Pour preuve, aujourd’hui encore, la plupart des jeunes diplômés que je croise ont une image plutôt réductrice pour ne pas dire caricaturale de notre métier : la paie, le recrutement, les syndicats, les licenciements, « ça doit être un peu de tout cela ».
Mes grands-parents venaient des mondes ouvrier et paysan ; papa était artisan électricien et maman, « conjointe collaboratrice ». Je suis un produit de l’ascenseur social et, sans doute par reconnaissance, j’ai toujours eu ce goût pour la relation avec les autres… tous les autres.
A la sortie des études, le monde de l’entreprise m’intéressait mais la diversité des fonctions aussi. Animé par la question sociale, j’ai choisi la transversalité en intégrant les ressources humaines.
Ma conviction : si vous n’aimez pas aller aux contacts des autres, n’embrassez pas la fonction. Même si, avec le temps, les postes vous entraînent plus vers la stratégie que vers l’opérationnel, gardez le contact ! De ce point de vue, mon poste actuel, de manière très heureuse, requiert un parfait équilibre.
Evidemment les contextes (croissance/restructuration), les cultures managériales, les nationalités peuvent changer mais l’essentiel est de maintenir l’écoute, de conserver ses convictions, transmettre ce que vous avez appris ailleurs. J’espère ainsi apporter aux autres au moins autant que ce qu’ils m’apportent à moi-même.
C’est pour cela que je suis DRH et surtout que je n’ai jamais souhaité sortir de cette fonction. Elle m’a permis d’avoir des expériences humaines fortes, de connaître des secteurs d’activité très divers, de voyager dans le monde entier. Quoi demander de plus ?
Quel est votre parcours ?
Je suis diplômé de Sciences –Po Paris et titulaire de 2 Masters (Droit Public et Droit Social) de l’Université Paris-II Assas. Je suis marié et père de quatre enfants. J’ai commencé ma carrière dans l’industrie chimique, chez Solvay en 1987, en qualité d’Adjoint du DRH de l’usine de Dombasle-sur-Meurthe. Déjà attiré par les voyages, j’ai ensuite rejoint Air France en 1989, où j’ai été successivement Assistant du DRH Caraïbes, basé à Pointe-à–Pitre, Assistant du Chef de projet Refonte de la Grille des emplois et des rémunérations du Personnel au sol (30 000 salariés), au siège de l’entreprise à Paris, et, de 1992 à 1997, avec les soubresauts sociaux d’alors, DRH Nice Côte d’Azur pour Air France puis AF et Air Inter lors du rapprochement des deux entreprises.
Toujours en qualité de DRH, j’ai ensuite travaillé trois ans en Polynésie Française, dans la banque de dépôt, pour la Westpac Banking Corp, une des quatre plus grandes banques australiennes, alors présente dans les Territoires français du Pacifique. J’y ai découvert des process RH structurants et nombreux ainsi qu’une place de la fonction Ressources humaines beaucoup plus forte qu’en France.
Avec cette nouvelle touche internationale, j’ai rejoint à nouveau Air France en qualité de DRH Amérique Sud et Canada puis USA, basé respectivement à Paris puis à New York. En 2005, je suis nommé DRH pour l’ensemble des 4 500 salariés travaillant dans les escales (aéroports) d’Air France en province.
Je retrouve l’industrie chimique à partir de 2010, plus particulièrement la chimie de formulation, dans un contexte de forte croissance, à nouveau très orienté à l’international. Je suis alors Directeur des Ressources Humaines et de la Communication du Groupe AXSON (Revocoat/Axson Technologies/BS Coatings) puis, pour la durée de la période d’intégration, DRH de la Direction Automotive Adhesives & Sealants au sein du groupe américain PPG qui a racheté une partie du groupe. Nous sommes en octobre 2015 et je saisis l’opportunité de venir travailler aux Chantiers navals de Saint-Nazaire en qualité de DRHC (« C » comme « Communication » interne et externe). C’est aujourd’hui le poste que j’occupe.
Dans votre secteur, quels enjeux aurez-vous à relever dans les années qui viennent ?
D’abord l’actualité : dans les prochains mois, nous devrons (enfin) tirer les avantages d’un actionnariat stabilisé.
Au-delà des fondamentaux que l’on retrouve dans l’industrie (impératifs HSE, développement du Lean, numérisation et robotisation) et que la fonction RH doit aussi accompagner, nous faisons face à des enjeux spécifiques :
  • Même rassurés par l’état de nos commandes actuelles, nous devons rester compétitifs. La performance industrielle est notre credo.
  • Motivés par les perspectives du marché mondial de la croisière, nos clients restent très attentifs à l’innovation. Nous ne devons pas les décevoir.
  • Enfin, nous avons coutume de parler d’ « entreprise étendue » tant nos réalisations sont à la fois celles de nos salariés et celles de nos sous-traitants (certains, qui sont avec nous de longue date, sont même appelés ici « co-réalisateurs ») ; cette alchimie est nécessaire pour notre bassin d’emploi et toujours délicate à mettre en œuvre. Cette forte empreinte territoriale marque également nos politiques RH et Communication.
  • Les Chantiers de Saint Nazaire sont connus pour leurs constructions navales, beaucoup moins pour leurs réalisations dans les énergies marines (sous-stations électriques off-shore notamment) ; le développement de ce secteur est un des enjeux de l’entreprise.
L’histoire de la construction navale est faite de hauts et de bas. En terme de carnet de commandes, peu d’industriels ont, comme nous, une visibilité à presque 10 ans mais, pourtant, la dernière crise (2010/2012) a bien failli être fatale à l’entreprise et à ses salariés. Tout en nous félicitant de cette nouvelle perspective et de ce qu’elle permettra de mettre en œuvre, il nous faudra rester attentif à la nature même de notre activité (gros besoin de financement, faibles marges) : le dialogue social va s’organiser autour de cette tendance.
Je rajouterai un challenge, plus RH : celui du recrutement, en particulier ouvrier. Nos besoins sont importants, l’appétence des jeunes pour certains métiers reste faible et la formation initiale ne délivre plus les compétences, en nombre suffisant, dont a besoin notre industrie.
Qu’attendez-vous de votre participation au comité éditorial de Liaisons Sociales Magazine et Entreprise & Carrières ?
Très concrètement, j’attends un échange entre professionnels et une possibilité pour le « provincial de l’étape » à la fois de tenir compte d’une réalité : beaucoup de choses sont décidées à Paris et dans les états-majors parisiens, mais aussi d’apporter sa contribution au travers de la réalité industrielle et de l’empreinte territoriale.
Ayant accompagné la création et le développement d’une entreprise de taille intermédiaire (ETI), je pense également important que nos réflexions intègrent leurs problématiques, souvent différentes de celles des grands groupes. Par rapport à ma réflexion sur la première question, il faudrait aussi améliorer la connaissance des Ressources Humaines auprès des étudiants, notamment ceux qui sont ingénieurs ou qui, dans les écoles de commerce, se destinent à la Finance ou au Marketing. Est-ce le bon vecteur ? C’est aussi un point à discuter.